« C’est une possibilité de prière juste » : premier prêche pour la femme imame Kahina Bahloul

Des fidèles de la mosquée libérale Fatima ont pu se réunir pour la prière, dans une petite salle louée à Paris, vendredi. C’est la première manifestation publique de ce projet de mosquée totalement mixte.
A gauche dix femmes, à droite douze hommes et, leur faisant face, l’imame. Une femme, Kahina Bahloul, doctorante en islamologie, qui s’inscrit dans la tradition soufie. Pour la première fois, des fidèles de la mosquée libérale Fatima ont pu se réunir ensemble, côte à côte, pour la prière, dans une petite salle louée à Paris, vendredi 21 février. C’est la première manifestation publique de ce projet de mosquée totalement mixte, l’un des deux qui existent à Paris. L’autre, Simorgh, a tenu son premier office il y a six mois, en septembre 2019. Dans les deux cas, les fonctions d’imam seront exercées indifféremment par des hommes et des femmes, et les fidèles se côtoieront dans la même salle.

Dans l’un et l’autre cas, pour des raisons de sécurité, les initiateurs ont choisi de tenir secret le lieu de la réunion. Le bouche-à-oreille a permis aux adeptes de se retrouver pour cette initiative, qui sent le soufre pour certains adeptes d’un islam traditionaliste. « La mixité comme ici est interdite dans presque toutes les mosquées, mais pratiquée à La Mecque », a ironisé l’autre cheville ouvrière du projet, le professeur de philosophie Faker Korchane, tenant d’une inspiration mutazilite, un courant rationaliste de l’islam.

« L’islam en France est de plus en plus fragmenté »

L’assistance est plutôt jeune. Ahmed est venu avec ses deux filles, de 13 et 10 ans. C’est la première fois qu’il peut prier à leurs côtés hors de chez lui. Qu’elles puissent accomplir ce rite entre elles, c’est l’une des raisons qui l’ont poussé à venir. « L’islam en France est de plus en plus fragmenté, affirme ce bon connaisseur des milieux musulmans. Il y a des islams de plus en plus privés. Des groupes d’affinités se forment, avec des pratiques très hétérogènes. Mais ils sont de taille réduite, et cela peut prendre du temps avant de trouver celui qui vous convient. »

Auparavant, Michel Leboutet, membre du bureau de l’association, pratiquait paisiblement à Limoges. Lorsqu’il s’est installé en Ile-de-France, raconte-t-il, il a découvert « un islam plus dur, plus sur les apparences ». Le projet Fatima lui a permis de reprendre ses aises.

Mariés, Hanifa et Adel sont eux aussi heureux d’avoir, enfin, pu prier ensemble. Dans la plupart des mosquées traditionnelles, les femmes sont reléguées dans une petite salle secondaire, quand ce n’est pas au sous-sol. « Pour moi, c’est inespéré, cela me réconforte. C’est une possibilité de prière juste », témoigne Hanifa. Adel a apprécié la prédication de Kahina Bahloul. « C’était réconfortant et rassurant. Elle apporte de la sensibilité. Les hommes sont plus dans le machisme plus dur », assure-t-il.
Pour son premier prêche, la jeune femme a choisi de parler de l’amour divin, « en ces temps où l’islam est devenu synonyme de terreur, de peur, de séparatisme ». Elle a cité plusieurs auteures, dont une sainte du VIIIsiècle et une mystique.

Trouver à louer une salle a été particulièrement difficile. « Dès que l’on prononçait le mot “islam”, les propriétaires se rétractaient », témoigne Kahina Bahloul avec une pointe d’amertume. Il faut aussi assurer le financement de la location, ce qui ne va pas de soi. Deux autres rendez-vous sont, néanmoins, programmés en mars.

Algeria BlackList | Cécile Chambraud – LE MONDE
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