Le 8 mars 1994, Saïd Mekbel échappe à un premier attentat à la sortie de son domicile, trois mois avant, se sentant menacée, sa femme quitte l’Algérie pour se réfugier en France. Mais, le 3 décembre 1994, il est de nouveau la cible d’un attentat dans un restaurant proche du siège du journal Le Matin à Hussein Dey, à Alger. Touché de deux balles dans la tête, il succombe à ses blessures le lendemain à l’hôpital. Il sera enterré à Béjaïa, sa ville natale, où il a vu le jour le 25 mars 1940.
C’est l’encre qui doit couler, pas le sang
Une place lui a été dédiée à Béjaïa, avec au centre son buste en bronze et, écrit sur les côtés, sa citation célèbre : « C’est l’encre qui doit couler, pas le sang. »
Son dernier billet, « Ce voleur qui… », publié le jour même de son assassinat, fera le tour de la presse mondiale.
« Ce voleur qui, dans la nuit, rase les murs pour rentrer chez lui, c’est lui.
Ce père qui recommande à ses enfants de ne pas dire dehors le méchant métier qu’il fait, c’est lui. Ce mauvais citoyen qui traîne au palais de justice, attendant de passer devant les juges, c’est lui.
Cet individu, pris dans une rafle de quartier et qu’un coup de crosse propulse au fond du camion, c’est lui.
C’est lui qui, le matin, quitte sa maison sans être sûr d’arriver à son travail.
Et lui qui quitte, le soir, son travail sans être certain d’arriver à sa maison.
Ce vagabond qui ne sait plus chez qui passer la nuit, c’est lui.
C’est lui qu’on menace dans les secrets d’un cabinet officiel, le témoin qui doit ravaler ce qu’il sait, ce citoyen nu et désemparé… Cet homme qui fait le vœu de ne pas mourir égorgé, c’est lui.
Ce cadavre sur lequel on recoud une tête décapitée, c’est lui.
C’est lui qui ne sait rien faire de ses mains, rien d’autres que ses petits écrits, lui qui espère contre tout, parce que, n’est-ce pas, les roses poussent bien sur les tas de fumier.
Lui qui est tous ceux-là et qui est seulement, journaliste. »
Algérie Black Liste | La Rédaction
(*) Journaliste et chroniqueur satirique, fondateur et ancien directeur du quotidien francophone Le Matin
Photo : Saïd Mekbel, alias « Mesmar J’ha », un clou de papier planté dans notre mémoire.
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